Le personnel de l’industrie genevoise exige des mesures cantonales

Avec la décision de ne plus soutenir le cours de 1.20 franc pour un euro, la Banque nationale suisse (BNS) a capitulé devant les spéculateurs et les milieux financiers. Les effets sur l’emploi dans l’industrie genevoise sont encore incertains, mais de nombreux employeurs tentent déjà de reporter les risques de la fluctuation du taux de change sur les travailleurs, en baissant les salaires ou en augmentant le temps de travail.

Les délégués syndicaux de l’industrie genevoise, secteur qui a déjà subi des baisses de salaire ces dernières années, refusent de payer le prix d’une crise dont ils ne sont pas responsables. Avec Unia Genève, ils demandent la mise en place d’un fonds d’aide cantonal qui pourrait être financé par les bénéfices de la BNS ou par une taxe sur la spéculation.

La Suisse est devenue du jour au lendemain 20% plus chère pour l’étranger. Pour l’industrie d’exportation, les conséquences pourraient être importantes. La comparaison avec 2011, quand le franc avait subi une augmentation similaire, appelle pourtant à une certaine prudence face à des mesures précipitées. En effet, l’appréciation du franc d’environ 30% n’avait pas fait chuter brutalement les exportations, notamment parce que certains exportateurs restent largement insensibles à la force du franc (c’est le cas de l’industrie horlogère et pharmaceutique), qu’ils peuvent équilibrer le renchérissement par la baisse des prix des matières importées ou parce qu’ils ne subissent les effets que sur le long terme (notamment dans l’industrie des machines). L’industrie immédiatement touchée comme le papier ou le textile n’est pas ou peu présente à Genève. Ainsi, comme le note l’OCSTAT, « en 2011, le commerce extérieur genevois a résisté au ralentissement de l’économie mondiale et à la poussée du franc », avec des taux de croissance à deux chiffres.

Contre les baisses de salaire et l’augmentation du temps de travail

Cette situation, confirmée pour le début 2015 par les délégués de l’horlogerie et de la chimie, n’empêche toutefois pas certaines entreprises de vouloir profiter de la crise du franc pour tenter d’imposer de nouvelles attaques sur les conditions de travail de leur personnel. Si le cas particulièrement frappant d’une entreprise active dans l’industrie alimentaire de la volaille, qui voulait baisser les salaires des frontaliers, a beaucoup fait parler d’elle la semaine dernière, dans le secteur de l’horlogerie la pression augmente aussi pour imposer une flexibilisation accrue du temps de travail, comme en a témoigné une déléguée syndicale de la branche. C’est dans le secteur des machines toutefois que les attaques se sont multipliées ces derniers jours, avec des tentatives de baisses de salaire, d’augmentation du temps de travail ou des menaces de licenciements, selon deux délégués présents à la conférence de presse tenue aujourd’hui au syndicat Unia à Genève.

Pour les représentants d’Unia Genève, il est exclu que les travailleurs paient le prix d’une crise, dont les effets restent à prouver, et dont ils ne sont en tous cas pas responsables. Ils rappellent non seulement qu’une modification unilatérale du contrat de travail et que le paiement des salaires en euros pour les frontaliers sont illégaux en Suisse. Aussi, il a été rappelé que dans le contexte actuel, une baisse des salaires serait un contre-sens économique, car elle plomberait la demande intérieure qui, jusqu’ici, a soutenu la conjoncture. Et surtout, tous les salariés n’ont pas profité de la même manière ces dernières années de la conjoncture extrêmement favorable. Le salaire médian dans l’industrie pharmaceutique, tout comme dans l’industrie des machines, est ainsi en recul depuis 2010. Alors que les patrons souhaitent faire payer aux ouvriers les conséquences possibles du franc fort, les inégalités salariales n’ont cessé de se creuser au cours des dernières années et les dividendes versés aux actionnaires n’ont jamais été aussi élevés qu’en 2014. L’augmentation des dividendes des vingt principales entreprises du SMI était de l’ordre de 10% par an depuis 2009 pour atteindre près de 36 milliards de francs en 2014.

Pour un fonds d’aide cantonal avec les bénéfices de la BNS

Si l’on écoutait les milieux patronaux, il faudrait suite à la décision de la BNS faire encore plus de cadeaux fiscaux aux entreprises, prolonger les horaires d’ouverture des magasins et remettre en question les mesures d’accompagnement. Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec la décision de la BNS, mais les profiteurs cherchent à faire feu de tout bois. Les délégués du secteur industrie d’Unia Genève demandent aux autorités genevoises de soutenir les entreprises qui ont réellement subi l’impact du franc fort. Ce soutien pourrait prendre la forme d’un fonds d’aide cantonal pouvant fournir des subventions ciblées, des prêts ou des cautionnements pour maintenir l’emploi menacé et assurer les entreprises contre les fluctuations sur les marchés des devises, en contrepartie de garanties fournies par les entreprises (en termes de transparence totale sur les affaires, de gel de paiement de dividendes et d’intérêts débiteurs envers les banques et de protection contre les licenciements notamment). Ce fonds pourrait être rattaché à la Fondation d’aide aux entreprises (FAE), et son financement assuré soit par une partie des bénéfices que la BNS a décidé de verser au canton de Genève pour l’exercice 2014 à hauteur de 77 millions de francs, soit par une taxe sur la spéculation sur les devises. Il n’y a en effet aucune raison que les premiers bénéficiaires de la décision de la BNS ne passent pas à la caisse. Cette proposition sera transmise à la CGAS pour présentation au Conseil de surveillance du marché du travail ce vendredi.