Maintenir la libre circulation – mais à quel prix ?
Début décembre, le gouvernement suisse a présenté son plan d’application de l’initiative « contre l’immigration de masse », acceptée par le peuple le 9 février 2014. L’idée centrale est de mettre en place un contrôle de l’immigration par la fixation d’un seuil d'immigration pour les ressortissants de l’Union européenne (« clause de sauvegarde »), au-delà duquel des contingents seront introduits dès l'année suivante. Restent à négocier les critères précis susceptibles de déclencher cette clause avec la Commission européenne, qui a déjà signalé son accord d’entrer en matière.
Les syndicats ont accueilli cette nouvelle de manière mitigée. Si les confédérations nationales se félicitent surtout qu’une piste est enfin ouverte pour sécuriser la voie bilatérale et notamment l’accord sur la libre circulation des personnes, les voix ont été plus nuancées dans les régions frontalières. Ici, les syndicats se battent tous les jours pour défendre le libre accès des travailleurs frontaliers au marché du travail tout en les protégeant contre les abus en matière de sous-enchère salariale. Et ici, ils ont pu constater que le petit oui du 9 février 2014 ne s’est pas imposé par pure xénophobie, mais parce que nombre de travailleurs résidents ont eux aussi subi ces dernières années une pression importante sur leurs salaires.
C’est pourquoi les syndicats genevois continuent à s’opposer à toute forme de contingentement de l’immigration, fût-elle conditionné à une clause de sauvegarde, car elle se trouve non seulement aux antipodes d’une politique migratoire basée sur l’égalité de droits entre salariés immigrés et résidents. L’expérience historique montre aussi qu’en limitant l’immigration, on renforce la précarisation des conditions de travail en poussant des salariés dans la clandestinité après épuisement des contingents. Sous couvert de « préférence nationale », on fait finalement porter la responsabilité du dumping salarial et du chômage aux salariés immigrés.
Sur ce dernier point, les réactions qui ont suivi l’annonce du gouvernement de vouloir timidement renforcer les protections des salariés pour accompagner le maintien du régime de libre circulation sont loin d’être rassurantes. Alors que les auteurs de l’initiative « contre l’immigration de masse » appellent clairement à renoncer à toute « extension des nocives mesures d’accompagnement », certaines associations patronales ont déjà signalé ne « pas vouloir l’extension du modèle genevois à la Suisse entière ». Référence est bien évidemment faite à l’instauration de l’Inspection Paritaire des Entreprises voulue par les syndicats.
Il n’est par ailleurs pas exclu que la Commission européenne elle-même ne conditionne les futures négociations à l’assouplissement des protections des salariés. En effet, les discussions souhaitées par l’UE sous l’intitulé d’un « accord cadre sur les questions institutionnelles » font suite à diverses plaintes contre la Suisse qui jugent que l’obligation de respecter les conditions de travail d’usage en Suisse pour des prestataires de services européens contredisent les récents jugements de la Cour européenne. Or, face aux durcissements en matière de politique migratoire des deux côtés de la frontière, les syndicats genevois sont convaincus qu’il est plus que jamais nécessaire de gagner de nouveaux droits et de nouvelles protections sociales pour l’ensemble des salariés quel que soit leur statut et leur origine. Le débat est ouvert et sera certainement soumis à votation populaire avant la fin de l’année.
Communiqué de presse du département du travail en réponse au 9 février 2014