Bilan d’une année d’IPE : « Plus de 300 entreprises ont été contrôlées»
Joël Varone, président de l’Inspection Paritaire des Entreprises, fait l’état des lieux de la milice paritaire genevoise, un an après son entrée en vigueur. Interview de l' Evénément syndical
L’EVENEMENT DE L’IPE
Comment les inspecteurs ont-ils été désignés?
La Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS), comme l’Union des Associations Patronales Genevoises (UAPG), ont du recruter chacune douze inspecteurs et deux membres du bureau. Du côté syndical, nous avons opté pour une répartition selon la représentativité des syndicats dans le secteur privé: Unia s’est vu attribuer 8 postes, dont 4 ont été réservés à des militants. Le SIT en a eu 4, et Syna, 1. Les inspecteurs ont ensuite été nommés officiellement par le Conseil d’Etat à la mi-mai. S’en sont suivies deux semaines de formation théorique et pratique pour les préparer au terrain.
Et du côté patronal?
Les inspecteurs sont essentiellement des membres de base de l’UAPG: des cadres ou des chefs d’entreprises. Au bureau, à mes côtés et à ceux de Manuela Cattani, présidente de la CGAS, on retrouve deux secrétaires patronaux, Nicolas Aune et Stéphanie Ruegsegger.
Quel temps dédient-ils à l’IPE?
L’IPE a un budget de fonctionnement qui permet de financer chaque inspecteur à hauteur de 40%. En 2016, le budget a été sous-utilisé. On ne fixe pas d’objectifs, mis à part le devoir de diligence. En moyenne, les inspecteurs consacrent un jour par semaine à l’IPE. Cette fonction demande une certaine autonomie: le bureau définit les campagnes et ensuite les inspecteurs doivent chercher eux-mêmes les entreprises à contrôler. Tout le monde n’a pas réussi à prendre le pli…
Comment s’est passée la mise en place logistique?
Cela n’a pas été une mince affaire! Il a fallu trouver des locaux, créer un statut d’association, trouver un financement de secrétariat administratif, investir dans des fournitures et du matériel… Nous avons tout récemment inauguré notre logiciel informatique pour réaliser les contrôles.
Comment ont réagi les organes d’inspection déjà existants?
L’arrivée de l’IPE a pu engendrer une série de crispations au début, notamment au niveau de l’Office cantonal de l’Inspection des relations du travail (OCIRT). Il n’a jamais été question d’empiéter sur les plates-bandes des autres. Maintenant, chacun a pris ses marques, on arrive à collaborer et à se compléter. On peut relever par ailleurs de belles avancées politiques dans la collaboration avec les commissions paritaires: deux commissions paritaires nous ont mandaté pour faire des contrôles, et nous sommes actuellement en discussion avec d’autres. Ca prend petit à petit…
LES CONTRÔLES
En un an, combien de contrôles ont été effectués?
Un peu plus de 300 entreprises ont été contrôlées. Il nous arrive d’intervenir dans des cas de dénonciation, mais le plus souvent, nous intervenons dans le cadre des campagnes menées par l’IPE. Les branches ont été sélectionnées en fonction des problématiques qui y sont liées, comme les échafaudages où l’on retrouve beaucoup de travail au noir, le transport de choses où règne la sous-enchère salariale, et l’hôtellerie-restauration, où il y a de grosses lacunes en matière d’enregistrement du temps de travail. Deux nouvelles campagnes ont récemment vu le jour, dans l’industrie alimentaire, et dans le commerce, notamment sur la question de l’accès à la lumière du jour.
Comment se passe un contrôle?
Le premier contrôle est annoncé afin que l’employeur ait le temps de réunir les documents demandés et qu’il en informe ses employés. On discute d’abord avec le patron, puis avec les salariés, à part. Nous avons des questionnaires type. Le plus souvent, on n’arrive pas à tout voir en une fois. Il y a la peur des salariés, et l’employeur qui peut bien nous dire ce qu’il veut.
C’est pour cela que si on constate ou on soupçonne une infraction, on revient pour un second contrôle, inopiné cette fois, pour vérifier les infos qu’on nous a donné ou pour nous assurer que l’entreprise s’est bien mise en conformité.
Etes-vous bien reçus?
Nous avons très rarement été refoulés par les entreprises. Elles se montrent plutôt coopératives.
Quelles infractions sont les plus courantes?
Ce qui revient le plus souvent, ce sont les infractions en matière d’enregistrement du temps de travail. Soit l’absence de système, notamment dans des petites ou moyennes entreprises, soit des systèmes lacunaires, qui ne permettent pas de vérifier si la Loi sur le travail est respectée. C’est un élément central pour protéger les salariés et prévenir la pénibilité du travail. La législation est très souple sur les différentes manières d’enregistrer le temps de travail, mais il faut que ce soit fait.
L’IPE a-t-elle souvent eu besoin de déléguer à l’OCIRT?
En un an, nous avons très peu délégué, seulement une dizaine de cas. En fait, sur tous les contrôles effectués, il y a déjà une masse d’entreprises dans lesquelles on ne relève aucune infraction. Pour les autres, tout ne se résout pas tout de suite, il faut leur laisser du temps pour se mettre complètement en conformité. Un cas prend entre 6 et 7 mois.
Evidemment, nous avons été confrontés à des situations graves, notamment d’exploitation de travailleurs et de traite humaine: dans ce genre de cas, ce sont l’OCIRT et la cellule contre la traite humaine qui interviennent. Les entreprises l’ont bien compris, l’IPE est une chance pour elles de se mettre en conformité avant que l’OCIRT leur tombe dessus et les sanctionne.
BILAN ET AVENIR
Quel bilan tirez-vous, un an après?
Au niveau d’Unia, l’IPE a été une façon de renforcer le rôle des militants. Nos quatre inspecteurs sont devenus des référents, tant dans leur entreprise qu’à l’IPE.
L’IPE est aussi une belle réussite car elle a réussi à créer une équipe qui fonctionne bien, un esprit de corps, et une solidarité entre tous les inspecteurs, syndicaux et patronaux. On travaille sur la même longueur d’onde, et ça c’est une victoire!
Le bilan est plus mitigé en matière d’intégration de l’IPE, du côté de l’UAPG comme de la CGAS. Il y a une série de réflexes à prendre afin d’utiliser l’IPE de façon pertinente. Il va falloir réussir à intégrer complètement ce nouvel outil.
Quels sont les autres défis pour l’IPE?
De notre côté, nous aimerions renforcer les compétences juridiques propres des inspecteurs de l’IPE.
Et quelles améliorations pourraient être apportées?
Afin de réduire la lourdeur de la procédure actuelle, l’idée serait que les contrôles soient réalisés petit à petit par un seul inspecteur, au lieu de deux actuellement dans une logique de formation. Evidemment, il y aurait toujours un regard paritaire sur le contrôle, aussi supervisé par le bureau.
De même, nous voulons optimaliser notre collaboration avec les Commissions paritaires et l’OCIRT afin d’avoir une meilleure complémentarité et un partage des tâches qui fasse sens.
Enfin, pour avoir un maximum de résultats, il faudrait avoir des demandes qui remontent du terrain afin de mieux cibler les contrôles. Cela passe par la consolidation d’un réseau qui s’attèle à faire connaître l’IPE. Mais il y a le temps, nous n’avons pas d’échéance conventionnelle. L’IPE repose sur un article de loi, et peut se permettre une largesse de timing.
Propos recueillis par Manon Todesco
L’IPE, ça sert à quoi? Quelques cas concrets
Travail au noir
«Nous avons fait un contrôle inopiné le matin à 6h dans une entreprise de transport. Plusieurs travailleurs étaient présents, alors que l’entreprise ne déclarait aucun employé. L’employeur nous a assuré que c’était le premier jour de travail de tous ces gens, alors que tous portaient la veste de l’entreprise. L’entreprise se sentant coincée, elle a commencé à régulariser ses employés. »
Enregistrement du temps de travail
«Les salariés d’une entreprise de transport nous ont sollicité, se plaignant d’avoir des horaires de travail à rallonge. L’IPE a sommé le patron de mettre en place un système d’enregistrement du temps de travail. Celui-ci a très rapidement révélé que tout le monde commençait à 8h. Pour s’en assurer, nous avons fait un contrôle surprise un matin à 6h30 et…ils étaient tous là ! Nous avons rappelé à l’ordre le patron une dernière fois avant de le dénoncer à l’OCIRT. Lors de notre dernier contrôle, le patron était seul 6h30 en train de charger les camions, les employés commençant réellement à 8h. »
Ambiance de travail
«L’IPE est intervenue dans une grande enseigne où l’hôtesse de caisse, placée à côté de la porte d’entrée, devait supporter une température de 16 degrés à son poste de travail. Il y avait en réalité un rideau chauffant installé sur cette porte, mais ce dernier fonctionnant mal, non seulement elle avait froid mais elle était exposée aux nuisances sonores du rideau. On a enregistré plus de 70 décibels. Suite à notre passage, le groupe est immédiatement intervenu pour résoudre durablement le problème. »