Le « séquestre », une arme contre le vol des salaires et l’insolvabilité organisée
Le syndicat Unia remet aujourd’hui à l’Office des faillites un véhicule utilitaire confisqué à un employeur qui ne versait plus de salaire. Cette saisie fait suite à la venue de deux travailleurs au syndicats et qui nous ont indiqué ne plus être payés depuis plusieurs mois. Le syndicat avait alors vainement tenté de contacter l’employeur à plusieurs reprises. Au vu des déclarations des travailleurs, il y avait de fortes raisons de penser que La Parqueterie de Carouge était sur le point de mettre la clef sous la porte, si bien qu’il était nécessaire d’agir au plus vite. Nous avons donc accompagné un travailleur afin de procéder au « séquestre » du véhicule d’entreprise et de son contenu. Une fois l’utilitaire confisqué, nous en avons immédiatement informé la police et le service des automobiles dans le cas où l’employeur indélicat déciderait de porter plainte. Quelques temps après, La Parqueterie de Carouge a été déclarée en faillite et nous avons alors communiqué l’inventaire des biens faisant l’objet de la rétention à l’office des faillites. Ce dernier exerce aujourd’hui la saisie des biens ayant préalablement fait l’objet du droit de rétention du travailleur, biens qui ne pourront dès lors plus être soustraits aux autorités et qui seront donc portés à l’inventaire de faillite pour ensuite être réalisés au cours d’une vente organisée par l’office compétent.
Depuis plusieurs années déjà, le syndicat Unia fait l’amer constat que les cas de non-paiement du salaire se multiplient dans le secteur du bâtiment. Si la branche du Second Œuvre est la plus touchée par ce phénomène, force est de reconnaître que les cas tendent à se multiplier également dans le Gros Œuvre et la Métallurgie du bâtiment.
Lorsque des travailleurs viennent consulter le syndicat pour ce type de problème, cela fait souvent plusieurs mois que leur salaire n’a pas été versé par l’employeur et ce malgré de réitérées demandes. Les difficultés qu’ils doivent alors affronter sont donc déjà très importantes, pour ne pas dire graves, allant de poursuites engagées par les caisses maladie jusqu’à la perte de leur logement.
Depuis plusieurs années déjà, le syndicat Unia avait privilégié la voie prudhommale en vue de récupérer les créances dues aux travailleurs, mais l’explosion des cas de faillites, souvent orchestrées par les employeurs eux-mêmes, a rendu ce chemin quasi impraticable. En effet, la procédure judiciaire étant passablement longue (de 1 an à 2 ans), il est très courant que la faillite soit prononcée durant la procédure au tribunal des Prud’hommes (ce qui a pour effet de la suspendre) ou peu après l’entrée en force du jugement, ce qui rend impossible le recouvrement de créances pourtant ordonné par le tribunal.
Les cas de travailleurs privés de revenu en raison d’agissements proprement scandaleux de la part d’employeurs ont aujourd’hui atteint une proportion inquiétante. Si les employés eux-mêmes ainsi que leur famille sont les premiers à en faire les frais, les assurances sociales en sont également largement victimes. En effet, si d’une part la faillite est souvent requise par les caisses de compensation ou de pension qui tentent de mettre la main sur les cotisations obligatoires impayées, ces mêmes caisses doivent encore assumer la perte supplémentaire induite par les salaires qui n’ont pas été versés par l’employeur, et donc pour lesquels aucune cotisation n’a pu être prélevée.
À l’heure où les partis politiques s’écharpent pour tenter de réviser une nouvelle fois la loi sur l’AVS, il ne serait pas inutile d’élargir la discussion en y faisant figurer la problématique des faillites, procédés qui emportent avec eux des sommes colossales qui avaient notamment pour destination le système de retraite.
Face à cette situation alarmante, le syndicat Unia se devait de réagir avec force par le biais des rares outils juridiques disponibles en la matière. Il est dès lors apparu opportun de recourir au droit de rétention ancré à l’art. 339a al. 3 CO. Ainsi, à certaines conditions, le travailleur a la possibilité de retenir des éléments du patrimoine de l’entreprise afin de garantir le paiement de son salaire. S’il est clair que l’usage de cette disposition doit être pratiqué avec discernement, il sied d’affirmer ici que la rétention sera désormais systématiquement mise en œuvre lorsque les conditions le permettront.
En exerçant son droit de rétention lorsque le salaire n’est pas payé, le travailleur ne fait pas que protéger son revenu et celui de sa famille, il fait également comprendre à son employeur la gravité de son acte. En effet, si le non-paiement du salaire demeure souvent la conséquence d’une insolvabilité organisée par l’entreprise elle-même, il n’est pas rare non plus que le versement du salaire soit retenu par pures représailles. Dans ce genre de cas, la disproportion entre le litige et la sanction infligée par l’employeur est non seulement criante, mais aussi porteuse de drames personnels et familiaux.
Fabrice Berney, juriste pour le secteur du bâtiment de Unia Genève