Devant le Coronavirus, tous les temporaires ne sont pas égaux
A chaque crise économique, les travailleuses et travailleurs temporaires, considérés comme une « variable d’ajustement » pour la plupart des entreprises qui y font recours, sont les premiers à perdre leur emploi. Il n’en est pas autrement avec la crise sanitaire due à la propagation du Coronavirus. Dès les premiers signaux, de nombreux employeurs ont mis fin à des missions temporaires. Que ce soit dans l’industrie ou dans l’hôtellerie, par crainte d’un ralentissement économique, ou dans le bâtiment ou la restauration, en réaction aux décisions des autorités d’arrêter temporairement ces branches ou encore à l’aéroport, où la baisse des activités s’est rapidement faite ressentir : des centaines d’intérimaires ont ainsi perdu leur travail durant les premiers jours de la pandémie.
Fins de mission abruptes
C’est le cas de d’Antonio*, qui travaillait comme temporaire sur un chantier, et qui s’est vu signifier son congé le jour même de l’annonce du Conseil d’Etat indiquant que les chantiers allaient fermer pour des raisons de santé publique : « Depuis deux ans et demi je ne trouve plus que des missions temporaires parce qu’on me dit que je suis trop vieux et que je coûte trop cher. Depuis ce temps, je bosse comme temporaire pour Implenia. Sur mon chantier, on était trois temporaires sur cinq ouvriers en tout. Ils ont renvoyé tout le monde à la maison. Mes collègues touchent les RHT, mais moi je dois aller au chômage. » Samir*, qui occupait quant à lui une activité temporaire à l’hôtel Mandarin Oriental, témoigne : « A la suite de l’annulation du Salon de l’auto, mon employeur m’a annoncé la fin de ma mission temporaire. J’ai d’abord cru que j’avais le droit au chômage technique, comme tous les autres employés de l’hôtel. Mais mon syndicat m’a informé que ce n’était pas le cas. Maintenant je n’ai plus qu’à m’inscrire au chômage. » Même situation dans l’horlogerie : Raphaël* raconte que, dans un premier temps, la grande manufacture genevoise pour laquelle il travaillait souhaitait maintenir les contrats de mission, mais qu’il fallait trouver une solution avec l’entreprise temporaire. Qui n’a pas tergiversé : « Tout le monde rentre chez soi et les contrats temporaires sont résiliés avec effet immédiat. »
Les oubliés de la gestion de crise
Le 21 mars dernier, les autorités semblaient enfin découvrir un phénomène que le syndicat dénonçait depuis longtemps : l’utilisation massive du travail temporaire, y compris de manière structurelle sur les postes « pérennes », et la précarité de leur situation, notamment face à une crise économique. C’est ainsi que le Conseil fédéral a modifié par voie d’ordonnance le régime de la réduction des horaires de travail (RHT) en permettant désormais l’indemnisation des intérimaires. En d’autres mots : plus besoin de les licencier, il suffit de les annoncer au chômage partiel. Or, cette modification comporte deux problèmes majeurs. Premièrement, elle ne s’applique pas rétroactivement aux personnes licenciées avant cette date. Ces « oubliés » de la gestion de la crise n’ont d’autre choix que de s’inscrire au chômage, où ils se retrouveront, comme d’autres employé-e-s à statut précaire, soit avec un faible revenu de remplacement, soit – s’ils n’ont pas pu cotiser suffisamment – sans rien du tout.
Des précaires plus précaires que d’autres
Deuxièmement, il y a parmi les précaires, des… plus précaires encore ! En effet, pour bénéficier des RHT, la « perte de travail » de la/du salarié-e-s doit pouvoir être estimée. Ce n’est pas le cas des intérimaires qui ont des grandes variations horaires de mois en mois, car le salaire moyen est considéré difficile à déterminer. Et le chômage partiel ne s’applique que durant la durée prévue de la mission ; les RHT restent donc exclues pour les personnes avec des très courtes missions. C’est le cas par exemple de Kevin*, qui travaillait comme agent du terminal à l’aéroport. Il fait partie des rares cas où l’agence temporaire a décidé d’annuler le licenciement des employé-e-s en CDD après avoir pris connaissance des modifications légales. « Avec nos collègues, nous nous sommes battus pour ne pas perdre notre droit à garder notre contrat de travail. Mais il n’est pas encore sûr que les RHT nous indemniseront », explique-t-il. A l’aéroport, le nombre de salarié-e-s dans sa situation est important.
Responsabilité solidaire et fonds de soutien
Comme Antonio, Samir et Kevin, des centaines des salarié-e-s temporaires qui ont perdu des heures ou leur travail tout court dans le cadre de la crise sanitaire se trouvent aujourd’hui sans possibilité d’accéder au chômage partiel et avec peu de chance de toucher des indemnités de chômage suffisants pour vivre. C’est pourquoi Unia Genève exige des entreprises qui ont fait massivement recours au travail temporaire ces dernières années qu’elles assument solidairement leur responsabilité et prennent en charge le paiement des salaires durant la durée de la crise. C’est aussi une des revendications de Kevin et de ses collègues : « L’entreprise a supprimé de nombreux shifts pour le mois de mars et avril. Nous réclamons à Genève Aéroport une intervention afin de minimiser la perte de nos salaires et alléger notre situation précaire. » En parallèle, la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) a transmis au Conseil d’Etat la demande de prévoir un fonds de soutien pour ces catégories précaires de travailleuses et travailleurs. Pour Unia Genève, qui soutient par ailleurs les efforts du Canton de secourir les indépendants, ces personnes méritent tout autant d’être aidés par l’Etat.
Pour plus d’informations :
Alessandro Pelizzari, secrétaire régional Unia Genève
* Les noms des salariés sont anonymisés. Comme l’organisation d’une conférence de presse en leur présence n’est actuellement pas possible, vous trouvez leurs témoignages écrits en entier en annexe. Ils sont par ailleurs prêts à témoigner par téléphone. Leurs coordonnées peuvent être données sur demande.