500.-, voire 1000.- de salaire mensuel en moins?? Des travailleuses et des travailleurs alertent sur les conséquences dévastatrices d'une acceptation de la motion "Ettlin" au Conseil national
Un outil de politique sociale, quand les conventions collectives ne suffisent pas
L’apparition du Covid a mis Genève face à une réalité qui ne pouvait plus être invisibilisée: la situation extrêmement précaire de plus d’une douzaine de milliers de travailleuses et travailleurs faisant la queue devant la patinoire des Vernets pour recevoir des produits d’alimentation et de première nécessité. Le salaire minimum légal est une réponse à cette situation: outil de politique sociale, il permet que les rémunérations horaires minimales correspondent à un minimum social.
Cet outil qu’est le salaire minimum légal a également la vertu de s’adapter, chaque année, au renchérissement du coût de la vie, grâce à son mécanisme d’indexation positive automatique. Un élément particulièrement important pour faire face - du moins en partie - à l’explosion du coût de la vie, qui touche de façon disproportionnée les petits revenus dont les charges pèsent particulièrement lourd dans le budget.
« À l’heure où ma famille va s’agrandir et où l’inflation se fait sentir, on parle de baisser mon salaire de 500 CHF… Ce n’est pas possible ! Aujourd’hui, même avec le salaire minimum légal à 24 francs, il y a une pénurie de personnel dans la restauration. Ce n’est pas étonnant dans ce secteur où les horaires coupés et les jours de travail le weekend sont inconciliables avec une vie sociale ou familiale. » Ram*, employé dans la restauration
"Dans ma branche, la coiffure, les salaires sont déjà assez bas. Si cette motion venait à passer, il sera encore plus difficile, avec la baisse salariale induite de plusieurs centaines de francs par mois, de fonder une famille et de continuer à habiter en Suisse". Bianca, coiffeuse
A Genève, près de la moitié des travailleuses et travailleurs qui ont bénéficié du salaire minimum cantonal travaillait dans des secteurs couverts par des conventions collectives de travail. Parmi ces secteurs, l’on retrouve l’hôtellerie-restauration, la coiffure ou encore le nettoyage, dans lesquels, pendant des années, les associations patronales ont refusé d’augmenter les salaires en prétendant que des augmentations étaient impossibles et engendreraient des licenciements voire des fermetures d’entreprise. Pourtant, depuis son entrée en force en novembre 2020, les effets du salaire minimum sur les licenciements ou les fermetures d’entreprise ne sont pas au rendez-vous montrant qu’un salaire aujourd’hui à 23.27 francs de l’heure est économiquement soutenable pour les patrons en plus d’être socialement utile.
“ Avec cette motion, on ressent tout le mépris des politiques qui dévalorisent nos métiers alors que des cadences de plus en plus soutenues nous sont imposées depuis la pandémie. Après des années de lutte pour avoir à un revenu décent, c’est en pleine crise qu’on se prend une grosse baisse de salaire alors que les prix augmentent de tous les côtés.” Jérémy*, cuisinier
" Notre revenu doit prendre en compte la pénibilité de notre travail et l’irrégularité de notre taux d’activité… 24 CHF de l’heure ce n’est déjà pas suffisant… alors avec 500 CHF de moins par mois, je n’arriverai pas à vivre ! Si les salaires baissent dans l’hôtellerie mais pas dans d’autres secteurs, comme l’économie domestique ou la vente, la pénurie de personnel va s’aggraver et les gens vont chercher ailleurs ! » Nancy, employée dans l'hôtellerie
Un nombre croissant de personnes perdant la protection du salaire minimum légal, un coût qui pèse sur l’ensemble des contribuables
Lors du lancement de l’initiative en 2018, nous avions évalué que cela concernerait environ 30’000 personnes à Genève, soit un dixième de salarié-e-s, dont une majorité de femmes. Ce nombre déjà excessivement élevé, risque d’augmenter. En effet, dès le 1e janvier 2023, via le mécanisme de l’indexation, le montant du salaire minimum légal genevois passera à 24.- de l’heure. Le plancher remonte donc progressivement, alors que les salaires des conventions collectives stagnent, faisant passer en-dessous du salaire minimum légal un nombre supplémentaire de personnes.
En donnant la possibilité aux entreprises de baisser les salaires de près de la moitié des personnes ayant été concernées par l’introduction du salaire minimum, la motion "Ettlin" va conduire à une augmentation des dépenses sociales dans le canton de Genève.
“Le salaire minimum légal était une nécessité compte tenu de la différence nette entre le coût de la vie sans cesse élevé et les salaires qui n’augmentaient pas. Ouvrir la voie à une dérogation à ce minimum c’est favoriser la pauvreté des travailleuses et travailleurs des secteurs qui ont déjà des bas salaires. Les élus ne doivent pas soutenir une motion qui augmentera le nombre de travailleuses et travailleurs vivant difficilement de leur travail et qui vont devoir faire appel aux services sociaux pour finir les fins de mois.” Cristiano, coiffeur
Dit autrement, une fois la motion "Ettlin" traduite en loi et adoptée par les chambres fédérales (au mieux en 2024), les patrons pourront baisser les salaires de leurs employé-e-s aux frais des contribuables qui seront amené-e-s à compenser ces baisses de salaires pour les plus précaires ! Cela alors que pendant plus de 4 ans, les patrons auront fait la démonstration qu’ils avaient tout à fait les moyens de payer le salaire minimum cantonal.
“Protéger le partenariat social contre des ingérences discutables”? Ce titre est une contrevérité!
Le titre de la motion "Ettlin", « Protéger le partenariat social contre des ingérences discutables », est une contrevérité. Premièrement, contrairement à ce que le Conseiller d’Etat du Centre veut faire croire, si la motion devenait loi, le partenariat social serait sérieusement ébranlé. Les syndicats signataires de conventions collectives prévoyant des salaires en-dessous des minimaux cantonaux seront forcés de reconsidérer l’extension, voire même la signature, de celles-ci! Deuxièmement, les salaires minimaux ne sont pas des ingérences. Elles sont, comme le Tribunal fédéral et les autorités suisses le rappellent, un outil de politique sociale, de la compétence des cantons, qui plus est, adopté démocratiquement. Cet outil permet d’ailleurs de compenser l’insuffisance de certaines conventions collectives nationales, en fonction des spécificités cantonales.
“Je me suis toujours débrouillée toute seule, sans jamais rien demander à personne, ni à l’État. J’ai toujours travaillé, même le samedi, même le dimanche, très tôt la journée et très tard le soir. En tant que nettoyeuse, si je devais revenir à un salaire de CHF 20.- de l’heure et donc perdre CHF 2,15 par heure : je ne pourrais plus vivre dignement à Genève. Ça c’est ma réalité que les politiciens oublient. Si demain la motion devait passer, en tant que militante, je demanderai à mon syndicat de ne plus signer de Convention collective, parce que tout simplement je serai perdant, car la convention du nettoyage est romande et que le coût de la vie de Genève n’est pas pris en compte ! ” Lilian, nettoyeuse
Si Genève et Neuchâtel sont, bien entendu, très mobilisés pour défendre leurs salaires minimaux, l’enjeu est national. La motion "Ettlin" ébranle l’ordre juridique suisse (en empiétant sur les compétences des cantons en matière de politique sociale) et crée une brèche pour les syndicats fantoches, comme le démontre l’expérience tessinoise. C’est enfin une provocation faite à tous les cantons et toutes les forces syndicales, dans le but de les décourager de se doter de l’outil du salaire minimum qui incontestablement, a fait ses preuves.
Mais les travailleuses et travailleurs des secteurs à faibles salaires ne se laisseront pas impressionner, et à Genève comme ailleurs, défendront l’outil de politique sociale qu’est le salaire minimum légal!
Risque de perte salariale en cas d'acceptation de la motion "Ettlin":
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- Hôtellerie-restauration: – 457 CHF mensuels (x12)
- Nettoyage: – 345 CHF mensuels (x13)
- Coiffure: – 1022 CHF mensuels (x12)
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Ndlr: Calculs basés sur les salaires prévus pour un temps-plein en 2023