Historique du procès
En 2014 lors d’un contrôle effectué par Unia, de multiples violations du droit du travail sont constatées concernant les employés d’une entreprise de sous-traitance polonaise, Blato. En effet, l’entreprise allemande Lindner Fassaden GmbH sous-traite une partie du chantier BATLab pour lequel elle est engagée par les HUG. Les employés polonais sont payés 8 euros l’heure, en lieu du salaire garanti par la Convention collective de travail de 24 francs, un cas de dumping salarial massif. Les dispositions sur le temps de travail, les vacances et les frais ne sont pas non plus respectées. Les travailleurs sont en outre logés en France, à 1h de route du chantier, dans des bâtiments petits et peu salubres. Suite au contrôle, les travailleurs sont emmenés de force en Allemagne pour les contraindre à signer de fausses fiches de salaires!
Le syndicat soutient alors quatre travailleurs pour un procès aux Prud’hommes. Ils découvriront que Blato qui les emploie est une entreprise fantôme.
C’est bien le fond de la problématique, comme l’analyse Maître Christian Dandrès, il s’agit s’un système bien rôdé, on emploie «des personnes en grande précarité, dans cette affaire on a levé la bâche sur une réalité sordide qui existe sur les chantiers. Les gens tournent dans toute l’Europe sur des missions à la chaîne. Si les tromperies sortent, les patrons disparaissent. Ce sont des logiques avec même des menaces quasi mafieuses. Il s’agit de surexploitation».
En 2017, par un jugement définitif du Tribunal des Prud’hommes, les travailleurs obtiennent entièrement gain de cause sur le fond de leurs prétentions auprès de Blato.
Le Tribunal dit toutefois noir sur blanc que si la condition de la subsidiarité est réalisée, «la responsabilité de Lindner Fassaden GmbH aurait indubitablement été engagée. En effet, celle-ci n’a nullement établi avoir exercé la diligence commandée par les circonstances, s’agissant du respect des conditions de travail et de salaire concernant les travaux de sous-traitance».
Les travailleurs agissent en Pologne contre l’entreprise fantôme pour obtenir, après plusieurs années, le paiement des frais d’avocat et une décision de radiation de l’entreprise.
Une nouvelle demande sera déposée pour engager la responsabilité de Lindner Fassaden GmbH en 2024 et un accord est conclu en septembre 2025, arrivant à un dénouement favorable pour les travailleurs. Dernière arnaque toutefois, la Loi sur les travailleurs détachés prévoit que seul le salaire net est dû par l’entrepreneur contractant à titre de responsabilité solidaire. Les travailleurs se voient ainsi spoliés des cotisations sociales auxquelles les tribunaux ont admis qu’ils avaient droit.
Sur ce sujet rappelle Nico Lutz, il y a une carte à jouer à travers les Bilatérales III avec l’Europe: il y a en effet une proposition d’évolution de la loi sur les travailleurs détachés, qui serait importante pour les travailleurs dans des cas de sous-traitance de chantiers à des entreprises étrangères.
Introduction de la responsabilité solidaire
Fin 2012, le Parlement a décidé, après un large débat public, d’introduire la notion de responsabilité solidaire. Cette décision est aussi le résultat d’une campagne politique menée par les syndicats pendant plusieurs années. Plusieurs scandales de dumping salarial ont en effet secoué la Suisse et 27’318 personnes, principalement de la construction et de l’artisanat, ont signé une pétition lancée par le syndicat Unia. Plusieurs associations d’employeurs se sont également prononcées en faveur de l’introduction de la notion de responsabilité solidaire.
La responsabilité solidaire a eu un impact politique important. Les entrepreneurs ont été confrontés à des risques engageant leur responsabilité.
En même temps, les parties contractantes des conventions collectives de travail (syndicats et associations d’employeurs) ont commencé à rendre accessible les résultats des contrôles des commissions paritaires. Le Système d’information alliance construction (SIAC) est créé en 2016. L’introduction de la responsabilité solidaire en est une des principales raisons.
Les maîtres d’ouvrage et les entrepreneurs peuvent ainsi vérifier dans le système s’il existe une convention collective de travail pour une entreprise, si l’entreprise a été contrôlée, ce qui a été contrôlé, s’il y a des infractions et si l’entreprise a effectué des paiements complémentaires. Ces dernières années, plusieurs lois cantonales sur les marchés publics ont été adaptées pour que seules les entreprises qui sont en règle avec les conventions collectives de travail puissent être prises en considération. Avec SIAC, il existe un instrument qui peut être mis en œuvre de manière uniforme et contraignante.
L’introduction de la responsabilité solidaire a également eu un effet indirect important. Si des cas de dumping salarial sont constatés sur un chantier, les entrepreneurs sont souvent prêts à régler les créances pour éviter d’avoir affaire à la justice.
Responsabilité solidaire: une extension nécessaire
Cependant, sur le plan juridique, explique Nico Lutz, «la responsabilité solidaire est restée lettre morte sur ce point, BATLab est le seul cas connu qui est allé jusqu’au bout et a obtenu un résultat positif pour les travailleurs: la responsabilité des sous-traitants a conduit à un versement de compensation suite à un conflit».
Le principal problème est la conception actuelle de la responsabilité solidaire. Le travailleur lésé doit d’abord poursuivre son employeur – le sous-traitant fautif – dans son pays d’origine. Ce n’est qu’en cas d’échec qu’il peut faire valoir ses droits auprès de l’entreprise principale. Cela ne fonctionne pas dans la pratique, les travailleurs lésés prenant beaucoup de risques et n’ayant souvent pas les moyens de se défendre dans leur pays d’origine.
Les syndicats ont donc demandé une extension de la responsabilité solidaire, soutenus par les employeurs du secteur de la construction et de l’artisanat. C’est ainsi que l’extension de la responsabilité des sous-traitants a pu être convenue dans le cadre du dernier paquet de mesures visant à garantir la protection des salaires, sur lequel les partenaires sociaux et les cantons se sont entendus en mars 2025. À l’avenir, le premier sous-traitant sera non seulement responsable des créances civiles des travailleurs concernés (salaires, primes, etc.), mais aussi des créances civiles des organes de contrôle, c’est-à-dire des amendes et des coûts de contrôle imposés par les commissions paritaires.
Cette possibilité permet une plus grande pression sur les entreprises principales pour qu’elles travaillent avec des entreprises qui n’ont pas commis d’infractions, car elles risquent de devoir payer des amendes ou des frais de contrôle.
Cette modification de la loi sera soumise au Parlement et constitue une amélioration essentielle et nécessaire. Si le parlement remet en question cette adaptation, ce serait un affront pour les syndicats, les associations patronales, les travailleurs et les entreprises respectant la loi.
Mais même avec cette extension, le dumping salarial reste un problème en Suisse. En effet, il est très intéressant de pouvoir demander des prix suisses et de payer des salaires italiens.... Le bénéfice de l’entreprise s’envole alors.
Maître Caroline Renold conclut que « sans Unia, sans un syndicat qui soutient les travailleurs et les aident dans les démarches, il n’est pas possible eux de s’engager dans une telle procédure et cela fait partie du système».
De ce fait, il faut aussi davantage de contrôles et des mesures efficaces de protection des salaires, pour éviter d’arriver à de telles situations. Les syndicats s’engagent dans cette direction, afin de faire respecter les droits des travailleuses et travailleurs.
Pour plus de renseignements :
Nico Lutz, membre du comité directeur d’Unia, responsable du secteur construction +41 76 330 82 07, nico.lutz@unia.ch
Caroline Renold, avocate, +41 78 737 25 73, caroline.renold@etude-zlb.ch
Christian Dandrès, avocat, +41 79 736 23 66, christian.dandres@etude-zlb.ch
Syndicat Unia 2025