Un fonds de soutien pour les travailleuses et travailleurs précaires, et vite !
A chaque crise économique, les travailleuses et travailleurs temporaires, considérés comme une « variable d’ajustement » pour la plupart des entreprises qui y font recours, sont les premiers à perdre leur emploi. Il n’en est pas autrement avec la crise sanitaire due à la propagation du Coronavirus. Dès les premiers signaux, de nombreux employeurs ont mis fin à des missions temporaires. Que ce soit dans l’industrie ou dans l’horlogerie, par crainte d’un ralentissement économique, ou dans le bâtiment ou la restauration, en réaction aux décisions des autorités d’arrêter temporairement ces branches ou encore à l’aéroport, où la baisse des activités s’est rapidement fait ressentir : des centaines d’intérimaires ont ainsi perdu leur travail durant les premiers jours de la pandémie.
Fins de mission abruptes
C’est le cas d’Antonio*, qui travaillait comme temporaire sur un chantier, et qui s’est vu signifier son congé le jour même de l’annonce du Conseil d’Etat indiquant que les chantiers allaient fermer : « Depuis deux ans et demi, je travaille comme temporaire pour Implenia car on me dit que je suis trop vieux pour être engagé en fixe. Ils ont renvoyé tout le monde à la maison. Mes collègues fixes touchent les RHT, mais moi je dois aller au chômage. » Samir*, qui occupait quant à lui une activité temporaire à l’hôtel Mandarin Oriental, témoigne : « Suite à l’annulation du Salon de l’auto, mon employeur m’a annoncé la fin de ma mission temporaire. J’ai d’abord cru que j’avais le droit au chômage technique, comme tous les autres employés de l’hôtel. Mais ce n’était pas le cas. Maintenant je n’ai plus qu’à m’inscrire au chômage. » Même situation dans l’industrie alimentaire : Franziska* raconte qu’avec la fermeture des écoles, le primeur Ronin, qui fournit fruits et légumes aux cantines, s’est vu confronté à une chute des commandes. Résultat : L’agence temporaire One Placement a résilié avec effet immédiat tous les contrats de mission actifs chez Ronin.
Les oubliés de la gestion de crise
Le 21 mars dernier, les autorités semblaient enfin découvrir un phénomène que le syndicat dénonçait depuis longtemps : l’utilisation massive du travail temporaire et la précarité de leur situation, notamment face à une crise économique. C’est ainsi que le Conseil fédéral a modifié, par voie d’ordonnance le régime de la réduction des horaires de travail (RHT) en permettant désormais l’indemnisation des intérimaires. En d’autres mots : plus besoin de les licencier, il suffit de les annoncer au chômage partiel. Or, cette modification comporte deux problèmes majeurs. Premièrement, elle ne s’applique pas rétroactivement aux personnes licenciées avant cette date. Ces « oubliés » de la gestion de la crise n’ont d’autre choix que de s’inscrire au chômage, où ils se retrouveront, comme d’autres employé-e-s à statut précaire, soit avec un faible revenu de remplacement, soit – s’ils n’ont pas pu cotiser suffisamment – sans rien du tout. C’est ainsi le cas de nombreux chauffeurs de bus temporaires actifs à l’aéroport, employés par Adecco, qui annonce ne pas vouloir annuler ces licenciements, malgré la possibilité de faire recours aux RHT, car l’entreprise n’a « pas souhaité instaurer ce système pour l’intégralité des temporaires ».
Des précaires plus précaires que d’autres
Deuxièmement, il y a parmi les précaires, des… plus précaires encore ! En effet, pour bénéficier des RHT, la « perte de travail » de la/du salarié-e doit pouvoir être estimée. Ce n’est pas le cas des intérimaires qui ont des grandes variations horaires de mois en mois, comme c’est le cas de Kevin* et ses collègues qui travaillaient comme agents du terminal à l’aéroport, car le salaire moyen est considéré difficile à déterminer. Le chômage partiel ne s’applique par ailleurs que durant la durée prévue de la mission ; les RHT restent donc exclues pour les personnes avec des très courtes missions. Et finalement, les RHT ne couvrent pas les cas de « faux temporaires », ou autrement dit d’employé-e-s dont le contrat de travail passe par des plateformes intermédiaires. C’est le cas par exemple de Louisa*, qui travaillait comme femme de ménage à travers l’agence MénageSimple, qui fixe la totalité des conditions de travail et garantit le paiement des salaires : « Je me suis retrouvée sans travail d’un jour à l’autre, toutes les missions ont été annulées. Une famille qui voulait continuer à me payer mon salaire a été invitée par MénageSimple à y renoncer. Et pourtant, la plateforme refuse de se considérer comme mon employeur et de m’inscrire aux RHT. »
Responsabilité solidaire et fonds de soutien
Comme Antonio, Samir et Louisa, des centaines des salarié-e-s temporaires qui ont perdu des heures ou leur travail tout court dans le cadre de la crise sanitaire se trouvent aujourd’hui sans possibilité d’accéder au chômage partiel et avec peu de chance de toucher des indemnités de chômage suffisantes pour vivre. C’est pourquoi Unia Genève exige des entreprises qui ont fait massivement recours au travail temporaire ces dernières années qu’elles assument solidairement leur responsabilité et prennent en charge le paiement du salaire durant la durée de la crise. En parallèle, la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) a transmis au Conseil d’Etat la demande de prévoir un fonds de soutien pour ces catégories précaires de travailleuses et de travailleurs**. Le Conseiller d’Etat Thierry Apothéloz vient enfin d’entendre cette demande et convoquera ces prochains jours une première séance avec les acteurs concernés, pour discuter des contours d’une telle aide. Pour Unia Genève, qui soutient par ailleurs les efforts du canton de secourir les indépendants, ces personnes méritent tout autant d’être aidées par l’Etat.
Pour plus d’informations:
Alessandro Pelizzari, Unia Genève
* Les noms des salariés sont anonymisés. Leurs coordonnées peuvent être données sur demande.
** Document annexé.