Ouvriers polonais payés 8 euros sur un chantier des HUG : Le jugement est tombé !

En 2014 Blato SP ZOO, une entreprise polonaise sous-traitante, était prise la main dans le sac par Unia sur un chantier des HUG. Elle y payait ses employés 8 euros de l’heure… L’affaire avait fait grand bruit et Unia avait ensuite aidé les travailleurs exploités à saisir le Tribunal des prud’hommes. Le jugement est enfin tombé : il ne manque pas d’ouvrir de nombreuses questions.

Des salaires scandaleux

Tout d’abord, le jugement donne raison aux travailleurs sur le fond : les salaires étaient incorrects, puisqu’ils violaient les minimaux de la Convention collective applicable et les montants réclamés par les salariés sont bel et bien dus.

Qui va payer ?

Nous sommes là en plein dans le problème du dumping salarial par le biais de la sous-traitance. L’entreprise principale, Lindner Fassaden GMBH, qui a pignon sur rue, bien que basée à l’étranger, obtient régulièrement des marchés en Suisse. Elle sous-traite une partie des travaux à Blato SP ZOO, une entreprise polonaise, qui paie des salaires crassement incorrects. C’est toutefois uniquement Blato qui est condamné à payer les salaires dus, alors même que l’activité continue d’être déployée à Genève par Lindner.

Il faut préciser que les HUG ont fait preuve de compréhension face à la situation de ces travailleurs et ont fait partiellement l’avance des salaires dus, montant qui doit être remboursé lorsqu’il sera payé par les employeurs qui le doivent.

Responsabilité solidaire ?

Pour éviter le dumping salarial, la Loi sur les travailleurs détachés institue une responsabilité solidaire de l’entreprise principale, avec l’entreprise sous-traitante qui a sous-payé ses employés. Toutefois, la loi prévoit que cette responsabilité est uniquement subsidiaire, c’est-à-dire que le travailleur doit d’abord démontrer que le sous-traitant a été poursuivi en vain ou ne peut pas être poursuivi, avant de pouvoir poursuivre l’entreprise principale.

Aussi, les travailleurs polonais sont condamnés à devoir faire une procédure contre Blato, une petite entreprise fantôme ayant son siège dans un appartement locatif en Pologne, qui a ignoré tous les courriers des travailleurs et toutes les convocations du Tribunal des Prud’hommes, avant de pouvoir s’attaquer à Lindner, entreprise active sur le chantier à Genève.

Or, le Tribunal des prud’hommes le dit noir sur blanc, si la condition de la subsidiarité avait été réalisée, « la responsabilité de Lindner aurait indubitablement été engagée. En effet, celle-ci n’a nullement établi avoir exercé la diligence commandée par les circonstances, s’agissant du respect des conditions de travail et de salaire concernant les travaux de sous-traitance de Blato ». Lindner n’a pas contrôlé le respect des conditions de travail par son sous-traitant. En réalité, Lindner devait savoir que les travailleurs étaient sous-payés, vu le nombre de travailleurs actifs sur le chantier et le montant du contrat de sous-traitance. Néanmoins, Lindner reste pour l’heure à l’abri de toute condamnation.

Une plainte en Pologne

Les travailleurs quant à eux, bien qu’ayant gagné la procédure en Suisse, doivent agir en Pologne, pour faire payer Blato. Bien décidé à aller jusqu’au bout, Unia va donc porter l’affaire devant la justice polonaise. Toutefois, il y a fort à parier vu les sommes en jeu que l’entreprise Blato se mettra en faillite. Dans ce cas, la responsabilité solidaire de Lindner pourrait être à nouveau actionnée en Suisse, ce qui rendrait ensuite peut-être nécessaire une nouvelle action devant la justice allemande.

Une loi inefficace

Au bout du compte, après des années de procès dans trois pays européens, les travailleurs auront peut-être une chance d’obtenir paiement de leur travail. Tout ceci démontre hélas que le principe de responsabilité solidaire, ancré dans la loi suisse pour soi-disant protéger les travailleurs face à l’ouverture des frontières et donc des marchés est dans les faits quasiment inapplicable.

Changer la loi ?

Le seul moyen de combattre efficacement le jeu pervers de la sous-traitance, serait de rendre solidairement responsable l’entreprise principale qui sous-traite. Ce serait ainsi à Lindner et non aux travailleurs d’assumer les conséquences des actions du sous-traitant, puisque dans ce cas de figure, Lindner devrait payer les travailleurs avant de se retourner contre Blato.

Dans ce cas, et dans ce cas seulement, on pourrait bel et bien parler de responsabilité solidaire des entreprises, puisque les entreprises assumeraient le risque qu’elles choisissent de prendre en sous-traitant, plutôt que de faire payer ce risque aux salariés.

Une interpellation parlementaire

Pour changer la loi en ce sens et commencer enfin à protéger le marché du travail de l’ouverture des frontières, Mme Lisa Mazzone et M. Carlo Sommaruga, tous deux Conseillers nationaux, ont décidé de déposer une interpellation parlementaire visant à modifier le cadre légal actuel, dont ce jugement prouve l’inefficacité absolue.

Unia Région Genève

Pour plus d'informations:

Christian Dandrès et Caroline Renold, Avocats, 022 737 21 31 et 079 738 23 66

Yves Mugny, Secrétaire syndical, 079 293 11 61